La montagne du Djurdjura fait partie du grand ensemble du massif kabyle désigné par les Romains sous le nom de Mons
Ferratus qui englobait aussi la chaîne des Bibans. La crête du Djurdjura, au sens stricto sensu de la géomorphologie, se déroule sur
environ 70 Km de longueur, depuis les hauteurs de Lakhdaria/Draâ El Mizan jusqu’au massif de l’Akfadou où elle s’abaisse vers la mer.
Au sens du système montagneux alpin, de par sa géologie, ses altitudes et ses pentes, la croupe de la montagne occupe une longueur
d’ouest en est de 50 Km et une largeur d’environ 9 Km.
La colonne vertébrale de la géomorphologie kabyle est, sans conteste, la chaîne du Djurdjura, repère par rapport auquel tout le
reste est situé, positionné ou nommé.
Dans son roman ‘’La Terre et le sang’’, Mouloud Feraoun décrit cette crête comme un ‘’squelette de dinosaure’’. Ce tableau est
particulièrement vrai quand on l’observe à partir des versants sud. La queue de ce ‘’reptile’’ serait la ligne allant en pente douce de Tizi Larbaâ à Tizi n’Djaâboub, ses ‘’vertèbres
dorsales et lombaires’’ seraient les massifs de Haïzer et Lalla Khedidja, et sa tête se situerait à Azerou n-T’hor orientée vers le nord.
Dans l’imaginaire kabyle, le Djurdjura constitue un mythe, sans doute même un mythe fondateur. Il sert pour ses populations de
citadelle et de refuge, de sécurité et d’obstacle, d’atout et de contrainte tout à la fois.
Sur le plan esthétique et poétique, la montagne est prise en charge par un ensemble de thèmes, de figures de style et d’allégories
aussi beaux et aussi significatifs les uns que les autres.
Signe de la pureté et de la vaillance, des immaculées origines et de l’inviolabilité de l’historique intimité, la montagne signifie
pour ses habitants la dignité et l’honneur préservés. ‘’Qui veut d’honneur se vêtir, qu’il monte à la montagne et mange le gland à cupule’’, recommande le chanteur Idir.
Elle est aussi le symbole de la résistance à l’oppression et à l’arbitraire. Blessé par balles par la gendarmerie en octobre1988,
Matoub Lounès s’écrie ‘’S-adrar itwahha tmughli ma ikhelqed wajdid’’ (le regard se tourne vers la montagne s’il y a du nouveau).
Avant le grand réveil du Printemps berbère de 1980, le poète Aït Menguellet rêvait de ce sursaut salvateur en disant dans sa chanson
Aâttar : ‘’J’ai rêvé, comme ce fut vrai, que j’ai assisté au réveil de la montagne’’.
Pour les exilés, elle constitue un lien et un cloison en même temps qui s’interpose entre le lieu d’exil et le pays natal. C’est
Jean Amrouche qui hèle les montagnes dans ses ‘’Chants berbères de Kabylie’’ :
‘’Éboulez-vous montagnes
Qui des miens m’avez séparé.
Laissez à ma vue la voie libre
Pour le pays de mon père bien-aimé’’
Un écosystème particulier
La montagne du Djurdjura constitue un écosystème botanique, faunistique et climatique qui lui a valu des réflexions scientifiques
depuis le 19e siècle pour son éventuelle classification en réserve de la nature. Les sites qui étaient les plus en vue sont Tikjda, Lalla Khedidja, Tala Guilef et la cédraie des Aït
Ouabane. Pendant la colonisation, la zone de Tikjda a pu obtenir un statut spécial par rapport au reste du territoire, ce qui préfigurait déjà une ébauche de parc naturel.
Sur le plan réglementaire, c’est en 1983 que le massif du Djurdjura accéda au statut de Parc National (PND) sous la tutelle du
Muséum national de la nature, réorganisé, par un décret datant du 9 février 1991, en Agence Nationale de la Nature (ANN) sous la tutelle de la Direction Générale des Forêts
(DGF).
Un ancien technicien autrichien, Mustapha Muller, ami de la
Révolution algérienne qui a longtemps exercé dans l’activité des parcs en Algérie, témoigne : ‘’Très rapidement après 1962, et avec tous les problèmes qu’il y avait, l’Algérie
pensait à la création de ces parcs nationaux. Un des premiers accords que la jeune république avait conclus avec la Bulgarie était précisément un accord sur l’élaboration d’un
pré-projet de recréation du Parc National du Djurdjura. 1983 était l’année de la légalisation de ces activités avec la promulgation du décret présidentiel portant ‘’statut-type des
parcs nationaux’’. (...) Je vois le parc du Djurdjura en premier lieu dans un sens de préservation d’un ensemble d’écosystèmes extrêmement précieux qu’il faut ouvrir aux scientifiques
et à un tourisme-nature. Pas n’importe quel tourisme. On ne va pas dans un parc qui a une faune et une flore rares pour se ‘’défouler’’ ! Certains parcs, comme le Djurdjura,
pourront devenir des sources en devises fortes grâce à une clientèle étrangère qui viendrait voir, et en deux heures d’avion de l’Europe, une faune surprenante et en liberté’’.
La mission dévolue aux parcs nationaux se répartit en plusieurs actions, à savoir la préservation de la flore et de la faune et de
leurs biotopes, la conservation des sites archéologiques, spéléologiques et géomorphologiques et le développement des activités de recherche scientifique et de vulgarisation. A cela
s’ajoute les activités de développement rural particulièrement à la périphérie des zones délimitées puisque la majorité d’entre elles sont fortement habitées hormis le Hoggar-
Tassili.
La défense de la biodiversité est inscrite actuellement comme l’une des priorités de la communauté internationale.
L’Algérie, signataire des textes relatifs à la biodiversité, compte 3.200 espèces botaniques dont 640 sont menacées de disparition
comme le cyprès du Tassili, le sapin de Numidie et le pin noir.
La montagne du Djurdjura compte, dans l’état actuel de la recherche, 990 espèces de plantes dont 32 sont endémiques, 145 rares et 70
très rares.
Sur le plan faunistique, des espèces en voie de disparition trouvent dans la réserve du Djurdjura le refuge idéal pour leur
préservation. Il en est ainsi de l’hyène rayée, la mangouste, la genette et quelques rapaces comme le percnoptère, le gypaète barbu et l’aigle royal. L’animal emblématique de ces
tréfonds de montagne est sans conteste le singe magot qui vous accueille par quelque voie que pénétriez dans le Parc.
Les oiseaux sont également bien représentés puisqu’on y rencontre pas moins de 114 espèces dont 47 sont migrateurs.
Pour sauvegarder l’écosystème en place, l’administration du Parc a du pain sur la planche d’autant plus que la zone est très peuplée
sur les deux versants de la montagne. Environ 80.000 habitants à la périphérie immédiate du Parc et 6.000 à l’intérieur même de la réserve. L’action anthropique est souvent dictée par
des besoins incompressibles de pâturage, de coupe de bois et d’autres actions qui portent, d’une façon ou d’une autre, atteinte à l’environnement.
Une dorsale du pays kabyle
La délimitation du Parc du Djurdjura suit le contour des zones les plus sensibles écologiquement parlant, à savoir les forêts
d’altitude (cèdre et chêne vert), les espaces intermédiaires qui pourront leur servir d’extension et les crêtes asylvatiques qui dominent les deux premières zones. Cela donne une
superficie administrative de 18.550 hectares répartis sur deux wilayas : Bouira et Tizi Ouzou.
Cependant, la chaîne du Djurdjura va un peu plus loin en pénétrant dans le massif de l’Akfadou, dans la wilaya de Béjaïa. Des
techniciens et professionnels du domaine ont toujours rêvé de créer un autre parc dans la forêt de l’Akfadou, qui aurait un pied à Tizi et un autre à Bgayet, en raison de l’existence
d’un autre écosystème strictement forestier et proche de la mer.
Les villages kabyles accrochés sur les deux faces de la montagne et qui pendent à mi-versant de celle-ci relèvent de plusieurs
communes : Iferhounène, Abi Youcef, Akbil, Iboudrarène, Ouacifs, Aït Boumahdi, Agouni Gueghrane, Aït Bouadou, Assi Youcef, Boghni,... sur le versant nord, et Aghbalou, Saharidj,
El Adjiba, El Asnam, Haïzer, Taghzout, Aït Laziz et Bechloul,sur le versant sud.
Ce vaste territoire appartient à deux grands bassins versants : la Soummam qui rejoint la mer au niveau de la ville de Bejaia
et le Sebaou qui termine sa course à Tagdemt, à quelques encablures de la ville de Dellys.
Le relief du Djurdjura est l’un des plus accidentés et des plus abrupts de l’Algérie. Les dépressions creusées à sa périphérie
atteignent de très basses altitudes (300 à 400 m à Ouacifs, Ouadhias et M’chedellah), alors que les sommets de la chaîne caracolent à 2123 m (La Dent du Lion à Haïzer) et même à 2308
m (Lalla Khedidja). Ce qui le distingue notablement de l’Aurès ou du massif de Ouled Naïl où les reliefs les plus bas sont situés à 900 m, voire 1000 m d’altitude.
Une très grande partie du massif du Djurdjura est formée pendant l’ère secondaire (le jurassique et le trias), soit depuis environ
140 à 200 millions d’années. L’axe de la chaîne est formé de calcaires liasiques (jurassique inférieur), durs et compacts, en bancs fortement redressés. L’assise inférieure est
dolomitique (carbonate de calcium et de magnésium). Dans la partie supérieure, les calcaires deviennent marneux.
Le relief d’altitude est de type karstique. Dès que la masse calcaire est en saillie au-dessus du niveau des rivières principales,
les eaux de pluie s’infiltrent en profondeur. Elles taraudent la masse calcaire en utilisant les zones de faiblesse, les diaclases, joints qui vont s’élargissant. Les eaux organisent
un véritable réseau souterrain comportant des puits verticaux qui crèvent la surface du plateau de gouffres appelés avens à l’exemple du
gouffre d’Assouel qui descend à une profondeur de 900 m. D’autres multiples galeries garnissant les entrailles calcaires du massifs aboutissent à de vastes cavernes reliées par des
boyaux étranglés, à l’exemple de la Grotte du Macchabée sur la façade d’Azrou n’Tidjer, dans la région de Aïn El Hammam.
Cette grotte géante est splendidement ornée par des dépôts de carbonate de chaux, concrétions calcaires qui pendent au plafond de la
grotte (stalactites) ou montent du sol (stalagmites). Les galeries de cette caverne sont étagées. Les plus hautes sont abandonnées par les eaux et les spéléologues qui les parcourent
y observent des marmites torrentielles, des vasques et des cascades asséchées.
Les eaux infiltrées dans la masse calcaire se rassemblent en véritables cours d’eau souterrains qui creusent leur lit comme le
feraient des rivières superficielles.
Les eaux finissent par ressortir en grosses sources appelées résurgences, comme les sources de Tala Boudi (à Aghbalou), L’Aîncer
n’Vili (à Iferhounène), L’Aîncer Aberkane(à Saharidj avec un débit allant de 400 à 10.000 l/s) et la phénoménale source des Aït Ouabane captée pour les besoins en eau potable et pour
la production d’électricité à Souk El Had des Yatafène.
Tous les éléments de ce relief karstique aboutissent à des formes esthétiques qui rassasient les yeux, une architecture orographique
faite de pitons, de crevasses, de gouffres et de brèches comme cette fenêtre unique en son genre appelée Le Belvédère, à quelques pas avant la belle pelouse d’Assouel. Le Belvédère
ouvre une fenêtre dans la masse d’Azrou Gougane, juste à côté de Taltat appelée aussi Main du Juif. Il donne une vue exceptionnelle du massif de la Haute Kabylie (Beni Yani, Larbaâ
Nath Irathène, Aïn El Hammam. En abaissant un peu les yeux, on peut admirer par voie aérienne, comme dans un avion, les pâtés de maisons de Timeghrass, Aït Boumahdi, Tiroual et Larbaâ
des Ouacifs.
Une curiosité topographique et esthétique est perchée entre la station de Tikjda et la réserve de Tala Guilef. Nous sommes à 1720 m
d’altitude au sommet d’une crête qui n’en est pas une, et pour cause ! Une vaste étendue d’eau dépassant las dimensions d’un stade de football chevauche entre les wilayas de
Bouira et Tizi Ouzou. Il s’agit du fameux Lac Goulmim (Tamda Ugalmim) qui ne voit disparaître ses dernières congères qu’au mois de juillet. Le lac naturel ne possède qu’une seule
ouverture, celle débouchant sur le talweg appelé Assif Assouki l’Hennouts qui descend vers Ath R’gane et Agouni Gueghrane, dans la wilaya de Tizi Ouzou.
En été, ce lac est un lieu de pèlerinage et de bivouac pour les jeunes des Ouadhias et des Ath Bouadou qui y montent à pied et pour
les jeunes de Bouira et de M’Chedellah qui peuvent, eux, y accéder par un véhicule tout terrain mais bien solide, car la piste ralliant ce site à partir des hauteurs de Aïn Alouane
est très difficile. Il existe aussi un chemin pédestre, long et éreintant qui monte vers le lac à partir de Tala Guilef et ce pour les visiteurs qui viennent de Boghni. D’ailleurs,
l’itinéraire Tala Guilef-Tikjda constitue une expédition classique pour nombre de visiteurs et d’étudiants ayant eu à plancher sur la géologie, la faune ou la flore du
Djurdjura.
Le cèdre et le singe magot : témoins millénaires
L’une des raisons essentielles qui ont attiré l’attention des pouvoirs publics et de la
communauté scientifique pour classer la chaîne du Djurdjura en parc cette réserve naturelle, c’est bien la présence de cette espèce devenue rare en Afrique du Nord, à savoir le cèdre
de l’Atlas. La cédraie du Djurdjura est un tissu discontinu. Elle se répartit en plusieurs massifs plus ou moins importants sur les deux versants de la chaîne.
Le versant nord comporte deux importants massifs : la forêt des Aït Ouabane qui s’étend de Tizi n’Kouilal au col de Tirourda,
importante futaie traversée par la piste du Génie militaire, et la forêt domaniale de Bou Djurdjura s’étalant sur le site de Tala Guilef sur les hauteurs de Boghni. Quant au versant
sud, il compte le massif de Lalla Khedidja (sur le piton duquel trône le point culminant de l’Algérie du Nord : 2308 m), les cantons de Tikjda et Taouialt, et enfin la cédraie de
Tachgagalt, sur les hauteurs de Haïzer et qui culmine à la Dent du Lion (2123 m).
Genre noble de par sa beauté, son port, ses ramures rayonnantes, la qualité de son bois et surtout la longévité de son espèce. En
effet, certains sujets sont deux fois millénaires, ayant germé sous le règne de Massinissa ou sous l’épiscopat de Saint Augustin
Le cèdre de l’Atlas, arbre altier et orgueilleux, a souffert de l’inconscience et de la cupidité des hommes. Le dernier drame qui
l’a frappé remonte au 30 août 2000 lorsque un feu venu du piémont et attisé par le sirocco atteignit la cédraie de Tikjda dont il décima
145 ha en plus de 200 hectares composés par d’autres espèces (pin d’Alep et chêne vert). Une
partie de la forêt considérée comme la vitrine de tout le massif et épargnée par les bombardements de la guerre de Libération venait de partir en fumée.
Une autre espèce, le chêne vert, à l’état pur ou mélangé avec le cèdre, occupe le canton de Timerkoumine, les hauteurs d’Ighzer
Ouakour et d’autres petites poches disséminées ça et là.
Une espèce rare, endémique du Djurdjura, a été identifiée en 1927 après qu’elle eut été découverte par un gardien au début du
siècle. Il s’agit du pin noir (Pinus nigra mauritanica) se trouvant à une altitude de 1400 à 1500 m au niveau de Tikjda, sur une superficie de 2 hectares.
La première étude qui lui est consacrée est une thèse d’ingéniorat d’État soutenue par M. Bouzid Chalabi en 1980. Il y montre
la rareté et la fragilité de cette espèce. En effet, dans son gîte actuel à Tigounatine, il ne resterait que 12 sujets de pin noir.
Le silence et la tranquillité des lieux sont les meilleurs facteurs pour la préservation de la faune ; une faune spécifique et
une faune commune du Tell. Dans la première catégorie, le symbole des pitons, des crevasses et des grands rocs est sans conteste le singe magot. Il est propre aux montagnes de
l’Afrique du Nord. On le rencontre depuis Azrou n’Tidjer, faisant la moue aux véhicules aux bruits desquels il a fini par s’adapter, jusqu’à Tala Guilef, en passant par Aït Ouabane et
Tikjda.
Parfois des troupeaux de 100 à 150 individus se resserrent pour former une meute prête à l’offensive en cas de menace imminente.
Cela nous est arrivé sur les versant boisé de Taouialt, dans l’oued Tinzer. Nous n’eûmes pour seul refuge que des maisons abandonnées d’Agouni, en bas de l’ancienne RN 33.
Sur les chemins de l’Akfadou
Dans le silence spectral et la brise quasi permanente qui caractérisent les reliefs escarpés du carrefour administratif des trois
wilayas de Bouira, Tizi Ouzou et Bejaïa, nous sommes happés par le paysage d’une beauté mystique aux confins immédiats d’Azrou n’Thor.
Des falaises rocheuses auxquelles s’agrippent audacieusement des sujets épars de cèdre de l’Atlas, des pelouses verdoyantes propres
aux sites alpins et des raidillons où sont marquées les traces de troupeaux de bovins paissant langoureusement depuis Taghalat ou Ath Ouabane.
Le carrefour de ces trois départements de la Kabylie se situe au niveau du col de Tirourda situé à 1750 m d’altitude.
Ce col constitue une ouverture de la montagne du Djurdjura entre Azrou n’Tidjer et Azrou n’Thor laissant passer la RN 15 qui joint
Oued Aïssi à M’chedallah via Larbaâ n’Ath Irathène et Aïn El Hammam.
Malgré l’absence d’infrastructures touristiques, l’itinéraire sur lequel nous sommes aujourd’hui a toujours été suivi par des
équipes touristiques plus ou moins importantes venant des pays d’Europe et ce, jusqu’au début des années 90. Il figure sur tous les bons guides et agendas touristiques.
A quelques kilomètres du Col en direction du nord, l’aiguille d’Azrou n’Thor prend l’aspect d’un ‘’hublot’’ à partir duquel il est
loisible de contempler à volonté les dépressions des deux vallées : la Soummam et le Sebaou, à l’orée du massif de l’Akfadou qui commence à quelques encablures d’ici.
L’ambition de cette région à accéder à une place touristique n’est que légitime. La féerie des lieux, l’originalité des paysages, la
poésie et la musique dégagées par tous les éléments harmonieusement agencés nous mettent dans une ambiance de saisissement et de béatitude
peu commune.
Nous sommes à Tala Selgou, une source fraîche et abondante située au milieu d’une pelouse alpine au pied d’Azrou n’Thor. La montée
du piton de la montagne n’est pas très difficile.
Au fil des visites des touristes et des habitants des villages limitrophes qui lui organisent des zerdas chaque année, un chemin
bien marqué a fini par être tracé sur le versant-est du mont et qui monte jusqu’au sommet de l’aiguille où est construit un mausolée à 1884 m d’altitude.
Les villages qui organisent des fêtes et des offrandes au saint patron sont Takhlidjt Ath Atsou, Zoubga et Tirourda relevant tous
les trois de la daïra d’Iferhounène.
Pendant la fête d’Azrou n’Thor, les populations des villages voisins répartis sur les trois wilayas sont invitées aux cérémonies et aux agapes organisées à tour de rôle par l’un des trois villages cités plus haut.
Des processions de femmes, de jeunes filles aux robes diaprées, d’hommes et d’enfants arpentent à pied ou en voiture les chemins
montueux qui mènent au Pic du Midi (Azrou n’Thor). D’Ath Melikech, de Michelet, d’Aghbalou et d’Illoula, les caravanes humaines avancent sans interruption vers le lieu
mystique.
Le long de la crête de Tibbura Bugdel, nous voguons à cheval entre les wilayas de Tizi Ouzou et Béjaïa, entre Amalou (ubac) et
Assamer (adret).
Vers le nord-ouest, ce sont les villages de l’aârch d’Illilten que nous dominons d’en haut :Tizit, Taourirt Amrous, Ath Aïssa U
Yahia, Ath Sider. Vers le sud-est, ce sont les villages d’Ath M’likech et d’Illoulen Oussameur que nous embrassons dans un rayon de vision assez large : Tansaout, Oumaraï,
Tinesouine, Ath Ouadda, Ath Yahia, Ath Sellam, Tighilt Mekhlouf,...
Ce sont des cantons densément habités mais où l’activité économique est tournée presque exclusivement vers l’oléiculture et
l’élevage. Dans cette zone à fort potentiel touristique, aucune infrastructure en relation avec ce créneau important de la vie économique n’existe.
En face des Ath M’likech, sur le versant sud-est, la commune d’Aghbalou relevant de la wilaya de Bouira dresse sa perle de villages
et hameaux pittoresques : Ighil Azem, Ivahlal, Takerboust, Ath Hamdoun, Selloum. Sur les hauteurs d’Aghbalou, une source appelée curieusement Aïn Zebda déverse son eau fraîche et
limpide directement sur la RN 15.
Les automobilistes et les visiteurs y marquent une pause pour se désaltérer par temps chaud. Une bicoque de fortune propose aussi
des boissons gazeuses et alcoolisées et des sandwichs. Dans le voisinage immédiat de la source, des enfants vous proposent des fruits de saison : figues, figues de Barbarie,
poires, pommes, ...etc. Après avoir déambulé sur des crêtes souvent dénudées et même rocailleuses, nous voilà passés au-delà de Tizi Ichelladen où le territoire montagneux s’engouffre
petit à petit dans les ténèbres du massif forestier de l’Akfadou.
Sur la ligne de faîte d’Azrou n’Ath Ziki qui sépare la wilaya de Tizi Ouzou de la wilaya de Béjaïa, l’observateur est embarrassé par
la multiplicité des paysages bariolés, des villages étagés en terrasses et des hameaux regroupés en pâtés de maisons. Où tourner le regard ? Vers Haouara, Ath Salah, Takoucht,
Agouni n’Teslit ? Vers le sud pour admirer Sid Ahmed Ousaïd, Timilouin, Issouane et El Matène ?
Tout, ici, sent la féerie, la vie bucolique et la couleur du pays profond dont l’âme est demeurée inaltérée.
Comme on reçoit en plein cœur l’authenticité, le labeur et les plaintes chastes des hommes accrochés aux vallons herbus et aux
pitons rocailleux et ravinés.
Le massif de l’Akfadou fait jonction avec les derniers contreforts du Djurdjura pour descendre, avec un relief plus ou
moins adouci, vers la Méditerranée dont il reçoit les brises et les embruns.
Tizi n’Tirourda ou les trois dimensions
Parmi les brèches et les anfractuosités creusées par dame nature dans le roc de la chaîne du Djurdjura, le col de Tirourda est l’une
des plus majestueuses. Elle fait partie des entrées réalisées par le travail de l’orogenèse pendant les ères du trias et du jurassique, il y a plus de cent millions d’années. En tous
cas, c’est le passage de montagne le plus élevé d’Algérie du haut de ses 1750 m. La RN15, qui commence à partir de Oued Aïssi (Tizi Ouzou), monte sans relâche sur 56 Km jusqu’au col
de Tirourda pour subir sa plus vertigineuse inflexion qui la conduira dans la plaine de Chorfa(Bouira) sur les rives de la Soummam.
Porte mythique par excellence pour les habitants de la Haute Kabylie, on l’appelle souvent Tizi tout court, c’est-à-dire Le Col, un
nom propre qui se suffit à lui-même parce qu’il est unique en son genre de par la forte altitude qui le caractérise et les difficultés qui en résultent. Cette ouverture constitue le
passage obligé de la route, la RN 15, taillée dans le roc de la montagne sur pas moins de sept kilomètres. A la sortie de la maison cantonnière de Tizi Ldjamaâ, la route serpente en
jugulaire sur la façade ouest de la montagne, suspendue entre ciel et terre. La route est crevassée à plusieurs endroits et s’affaisse carrément en certains points en raison des
exploitations permanentes de carrières d’extraction de pierres. De ces dernières déboulent des blocs de plusieurs quintaux, voire de plusieurs tonnes, qui atterrissent violemment sur
la route goudronnée. Il arrive même qu’une grosse pièce obstrue la route pendant quelques heures avant que des ouvriers la cassent et la fragmentent en plusieurs morceaux.
Après avoir franchi deux petits tunnels situés respectivement à 1280m et 1320m, le chemin monte à la merveilleuse source de Vili qui
laisse couler une eau fraîche et cristalline le long d’une conduite et qui retombe dans une vasque en béton dans laquelle s’abreuvent les vaches et les bœufs transhumant dans les
alpages voisins. Un kilomètre et demi plus loin, une piste prend naissance sur la droite ; c’est la fameuse piste du génie militaire qui passe derrière le sommet d’Azrou n’Tidjer
et la grotte du Macchabée et s’enfonce dans la ténébreuse forêts des At Ouabane, au pied d’Azrou Madène. Plus loin, elle assure la jonction entre Vili et le col de Tizi
n’Kouilal.
La RN 15 continue à monter, les singes magots prennent plus d’audace à se montrer et à s’agripper en véritables gymnastes aux
branches flexibles des cèdres millénaires. Ils s’envoient des cris et des appels qui son inintelligibles aux hommes ; mais, on devine qu’ils sont dérangés par la présence
humaine.
Nous abordons ensuite une petite merveille de la nature et ... des Travaux Publics coloniaux : la Porte Civeli. Ici, la route
passe à découvert dans la roche tout en laissant sur son flanc aval un petit morceau de roc en aiguille ; et c’est pourquoi on a l’impression de franchir une véritable porte de
la nature. A partir de ce point, la pente devient plus accentuée, s’approchant des 10%. Une vue panoramique s’offre à la vue du visiteur le moins passionné. En face, un tableau
féerique met en évidence l’imposant pic d’Azrou-nT’hor haut de 1884 m d’altitude sur les basques duquel s’accrochent audacieusement des taillis de chêne vert et de beaux bosquets de
cèdres. La façade est encastrée en pente vertigineuse dépassant les 200%. Tout à fait en bas, dans une dépression très ramassée, se love miraculeusement un village dont on aperçoit
bien les toitures en tuiles rouges : c’est la fabuleuse Tirourda qui donne son nom au col qui la surplombe. Un peu plus loin, un autre village s’adosse aux pieds
d’Azrou-nT’hor : c’est Takhlidjth n At Atsou qui est situé à peu près dans les mêmes conditions que Tirourda.